Lecture audio pour malvoyant

Texte de © Hubert DEMORY dans la revue Le Village Juin 2002

 Avec l'autorisation de son auteur

     

 

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Il est une petite rue de 76 mètres de long, bien sage, cachée derrière la chapelle espagnole, entre la rue de Siam et le boulevard Emile Augier, ouverte dans l'ancien "Jardin fleuriste de la Muette", qui reçut le 28 décembre 1894 le nom d'Edmond About. Si peu de gens connaissent cette rue, beaucoup ont oublié qui il était ; et pourtant sous la III° république (1870-1940), parmi les prix remis aux meilleurs élèves de nos écoles, il y avait toujours deux romans d'Edmond About : "L'homme à l'oreille cassée" et "Le roman d'un brave homme". Le temps passe, les souvenirs s'estompent et s'envolent comme la rosée, l'oubli fait son oeuvre. Alors pourquoi Philippe van Tieghen a-t-il écrit dans son dictionnaire des Littératures :"About est un excellent écrivain, sinon un esprit de première grandeur".

Michel About, le père, est né le 10 janvier 1796 à Vergaville (Moselle) ; il est le fils aîné d'une famille de 6 enfants. Le 1° mars 1827, il épouse, à Albestroff (Moselle) Sophie Hans, née le 30 janvier 1809 à Strasbourg et s'installe comme épicier à Dieuze (Meurthe et Moselle) à l'emplacement de l'actuel 37 rue Clémenceau. Le 14 février 1828, à Dieuze, Sophie lui donne un fils qu'ils appellent François Edmond Valentin et que la postérité connaîtra sous le prénom d'Edmond ; elle lui donne aussi, le 28 janvier 1830, une fille : Aimée, qui épousera N. Balançard. Hélas, le 20 mai 1834, Michel About meurt alors qu'Edmond n'a que six ans. Les premières difficultés de la vie vont commencer. Quelques années plus tard, bien qu'élève brillant, Edmond ne supporte pas d'être interne au séminaire de Dieuze et s'en fait renvoyé. Il poursuit ses études au lycée Henri Poincaré à Nancy puis au Lycée Charlemagne à Paris où il se lie d'amitié avec Gustave Doré et surtout Francisque Sarcey (1827-1899). Après avoir été lauréat du Concours général de latin, il entre à l'Ecole normale supérieur de la rue d'Ulm en 1848, en compagnie de Sarcey, d'Hyppolite Taine (1828-1893), futur philosophe et historien, et d'Alfred Assolant (1827-1886) qui écrira entre autres romans "Les aventures du capitaine Corcoran". Sorti en 1851, Edmond se présente à l'agrégation et est reçu, la même année, premier en agrégation de lettres. Alors que son ami Sarcey prend un poste de professeur en province, il renonce à l'enseignement et est reçu au concours de l'Ecole d'Athènes où il va de 1851 à 1853. Cette école, fondée en septembre 1846, avait pour but, au départ, de recevoir les pensionnaires de la Villa Médicis à Rome pour leur permettre d'y étudier les antiquités. Edmond fait le contraire : il commence par Athènes et ira à Rome plus tard. Revenu à Paris, il s'installe avec Taine, rue Mazarine, et décide de se consacrer au journalisme ; il rédige toutefois son "Mémoire sur l'île d'Egine" et à la demande de Louis Hachette, chez qui il publiera par la suite toutes ses oeuvres, il écrit, en 1854, "La Grèce contemporaine", ouvrage qui obtient un vif succès à cause de sa gaieté et de son irrespect mais alimente un courant peu favorable au jeune Etat grec.

Dès 1855, Edmond About commence à écrire des chroniques et autres "causeries", cela jusqu'en 1870, dans "Le Figaro", "Le Soir", "Le Constitutionnel", "La Revue des Deux Mondes", et "L'Opinion Nationale" où il fera entrer Francisque Sarcey lorsque ce dernier aura renoncé à l'enseignement, en 1860. C'est aussi en 1855 qu'Edmond publie son premier roman "Tolla" qui fera quelque scandale car Edmond est accusé de plagiat. En 1856, son deuxième roman, "Les mariages de Paris" lui apporte un certain succès malgré une phrase qui restera célèbre " Victorine continua sa lecture en fermant les yeux." En 1856, il publie "Germaine", "Les échasses de maître Pierre" et surtout, avec ses souvenirs de Grèce, "Le roi des montagnes" qui met en valeur son don d'observation et de narration. Rappelons brièvement l'histoire : Hadji Stavras, le roi des montagnes de l'Attique, est un dangereux chef de bande qui dévalise les voyageurs, mais son organisation ressemble à une société par actions et il doit rendre compte de ses forfaits avec des bilans et des procès-verbaux d'une cocasserie savoureuse. La cinquième édition de ce roman, en 1861, sera illustrée par son ami Gustave Doré. Edmond devient l'écrivain à la mode, il a de l'argent et en profite pour acheter une maison de campagne dans sa chère Lorraine, près de Saverne (Bas-Rhin). Dans sa "Ballade des travers de ce temps", (juillet 1856), Banville écrit

 

     

    "On n'a plus d'or que pour Edmond About
    Au Moniteur ainsi que chez Hachette ;
    C'est pour lui seul que la marmite bout
    Chez Désiré comme au Café Vachette ;
    C'est lui qu'on prise et c'est lui qu'on achète.
    Pourtant Venet écrit à l'Univers ;
    Machin (du Tarn) dans des recueils divers
    Offre au public des lignes incongrues,
    Et Champfleury veut supprimer les vers :
    Voici le temps pour les coquecirgues. (= balivernes)"

 

 

Cette célébrité lui permet de se lier d'amitié avec Ivan Serguéïévitch Tourguéniev qui vient à Paris en 1857 et l'amène à rencontrer Napoléon III avec qui il entretiendra une correspondance. Citons par exemple qu'Edmond About ayant proposé à l'empereur la création d'une nouvelle médaille, celui-ci lui répondit que cette nouvelle décoration aurait les mêmes difficultés que la Légion d'honneur : "Les demandes se multiplieraient à l'infini et dans la concurrence illimitée des prétendants comment discerner les titres sérieux ? Après quelques années la distinction aurait perdu son prix, et, sans hyperbole, on en viendrait presque à voir tout le peuple décoré." Mais aujourd'hui l'empereur lui demande une étude sur Rome. Edmond s'y rend et publie, en 1859, "La question romaine" qui fait grand scandale par son anticléricalisme et l'esprit frondeur qu'il manifeste ; on ira jusqu'à le comparer à Voltaire. Il est vrai qu'il critique très sévèrement le pouvoir temporel du pape. Il se bat aussi pour le principe des nationalités ("La nouvelle carte de l'Europe" - 1860) et pour l'unité allemande ("La Prusse en 1860" - 1860). En 1861 il publie "Rome contemporaine" et en 1862 s'essaie au théâtre, en compagnie d'Emile de Najac, en présentant "Gaëtana", à l'Odéon, qui dut être retirée de l'affiche à causes des sifflets de la jeunesse républicaine qui lui reprochait surtout sa collaboration au "Constitutionnel" favorable au pouvoir en place. Charles Monselet décrit dans Le Monde Illustré du 11 janvier 1862 : " ... le voilà en hostilité réglée avec une partie de la jeunesse du quartier studieux... Le fait est tellement évident qu'on sifflait avant que la toile fut levée, qu'on sifflait dès les premiers mots des acteurs, qu'on sifflait dans les entr'actes, qu'on sifflait le lendemain et le surlendemain, qu'on sifflait même dans la rue. "Gaëtana" dut être retiré - ou se retira - le quatrième jour." Edmond se rattrape en publiant cette même année trois romans fantastiques : "Le cas de monsieur Guérin" (histoire d'un homme enceinte ou enceint ??), "Le nez d'un notaire" (ou de la transmission des caractères en cas de greffe) et surtout le célèbre "Homme à l'oreille cassée" qui décrit comment un colonel d'Empire de 24 ans, condamné à mort par les prussiens en 1813, a été desséché puis ressuscité en 1850 par un jeune ingénieur français. En dehors de la science fiction il y a là un condensé de la vie sous le Premier et le Second Empire tout à fait remarquable. R. Boudrioz en fera un film en 1936 et cela inspirera "Hibernatus" à Edouard Molinaro en 1969 avec Louis de Funès.

Edmond About redevient sérieux et se préoccupe des problèmes économiques et sociaux, prônant le libéralisme, la solidarité du consommateur et du producteur, de l'ouvrier et du patron, du capital et du travail. "C'est le travail qui produit le capital et le capital, à son tour, travaille et nourrit son créateur". En 1863, il publie "Dernières lettres d'un bon jeune homme à sa cousine Madeleine" et "Madelon" ; en 1864 "L'ABC du travailleur" et "Le progrès" qui invite le lecteur à multiplier son énergie par l'usage de la machine à vapeur sans toutefois faire payer le prix humain comme ce fut le cas en Angleterre. Il fait aussi, à l'occasion, des critiques d'art. Au Salon de 1865, Manet présente un nu, qu'il avait peint en 1863, d'après Victorine Meurend étendue sur un lit avec une négresse qui lui offre un bouquet et un chat. Ce nu, non idéalisé, la présence équivoque de la négresse et du chat font un tel scandale qu'Edmond About s'associe à Théophile Gautier pour obtenir le retrait du tableau : "L'art descendu à ce point ne mérite même pas qu'on le blâme". Le jury décida d'accrocher le tableau suffisamment haut pour qu'on ne puisse le voir.

Le 24 mai 1864 est un jour de fête pour Edmond qui épouse, à Roncherolles (Seine Maritime) Anne Louise Victoire Guillerville née le 9 août 1842 ( elle décédera en 1929 et sera inhumée dans le caveau familial du Père Lachaise sous le nom :" Madame Edmond About née Alex de Guillerville". Allez savoir pourquoi ! ). Elle a 14 ans de moins que son mari et lui donnera 8 enfants, la plupart nés à Saverne : Valentine (1865-1945), Louise-Alexandrine-Léonie (1866-?) (peut-être le prénom d'Alex cité plus haut vient-il de là ?), Pierre-Edmond (1867-1886), Germaine (1868 -?), Suzanne (1872-1935), Michel (?-?), Philippe-Edmond (1877-1907) et Jean (1880-1939).

En 1865, Edmond publie "La vieille roche" recueil de trois nouvelles : "Le mari imprévu", "Les vacances de la comtesse" et "Le marquis de Laurose" ; puis en 1866 "Le Turco", en 1867 "L'infâme" et en 1868 "Les mariages de province". Cette même année il réessaye le théâtre et présente à la Comédie Française "Histoire ancienne", comédie en un acte écrite, une fois encore, avec Emile de Najac ; c'est de nouveau un échec. Charles Monselet, dans Le Monde Illustré du 7 novembre 1868, commente : "Un titre en l'air, une pièce en l'air aussi. M. Edmond About se diminue à laisser représenter de pareilles bagatelles... On s'est entre-regardé avec hésitation le soir de la représentation. Fallait-il applaudir ?". Cette fois Edmond abandonne définitivement le théâtre. Après un voyage sur le canal de Suez, il publie en 1869 ses souvenirs "Ahmet, le fellah". 1870 lui apporte deux déceptions : tout d'abord son élection à l'Académie française est refusée à cause de ses positions religieuses et surtout sa chère Lorraine est annexée. Il lui faut une nouvelle maison de campagne pour lui, sa femme et ses huit enfants, ce sera le "château" de Malabry dans ce village qui ne comprenait en fait qu'une maison de maître et une ferme.

Afin de pouvoir exprimer plus fortement et plus librement son patriotisme, Edmond s'associe à son vieil ami Francisque Sarcey pour créer un nouveau journal : "Le XIX° siècle" qu'il dirigera jusqu'à sa mort. Il est loin le temps où il défendait l'unité allemande ; "Alsace", publié en 1872, est tout le contraire.

Edmond About se consacre totalement à son journal et ne publiera plus qu'un seul roman, en 1880 : "Le roman d'un brave homme" (l'enseignement mutuel et pratique, l'art de devenir patron en s'instruisant et en travaillant, l'art d'être un bon ouvrier, un bon père, un bon mari et un bon patriote). Ce livre, ainsi que "L'homme à l'oreille cassée" seront le type même des prix remis aux élèves méritants pendant toute la III° république. "Le XIX° siècle" est un journal patriote, antimonarchiste et anticlérical et cela pèse pour sa deuxième tentative pour l'Académie française où il échoue, à nouveau, en 1874. Le 1° octobre 1883, avec Ernest Renan, Edmond About prononce, gare du Nord, un discours en l'honneur de son ami Tourguéniev, dont les obsèques ont eu lieu à la cathédrale russe de la rue Daru. Tourguéniev est ramené en Russie et sera inhumé le 9 octobre au cimetière Volkovo à Saint-Pétersbourg.

Edmond About ne s'occupe plus maintenant que de son journal, mais, souffrant de diabète, la mort le surprend le samedi17 janvier 1885 à 10 H. ainsi que le rapporte le Petit Journal du 18.1.1885. Elu enfin membre de l'Académie française, l'année précédente, au fauteuil de Jules Sandeau, il n'eut pas le temps d'y être reçu officiellement. Les obsèques ont lieu le lundi 19, partant de la maison mortuaire 6 rue de Douai, le cortège s'est rendu directement au Père Lachaise où Edmond About repose aujourd'hui, en compagnie de sa femme et de 5 de ses enfants, chemin de la Guérite dans la 36° division. Sa tombe est cernée par un tout petit jardinet à la pointe duquel un frêle bouleau apporte de l'ombre à sa statue de bronze signée Crauk et réalisée par les fondeurs Thiébaut frères. Elle représente Edmond About assis sur une chaise, tenant un livre dans la main gauche et une plume d'oie dans la main droite, avec 6 livres posés au sol à sa droite dont "Alsace 1871-1872" et à ses pieds un numéro du "XIX° siècle".

© Hubert DEMORY

 

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